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Savates et Sac à dos

petites balades sur l'île de La Réunion, pour ceux qui ne se considèrent pas comme des randonneurs

Le Volcan

"Nena dé million d'année que nou lé la,

somen komen nou l'arrivé ? Sa nou conné pa".

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La célèbre chanson de l'emblématique groupe Réunionnais Oussanoussava (qui signifie "où ira-t-on") fait partie de celles qui restent coriacement dans la tête toute une journée pour qui l'a déjà entendue ne serait-ce qu'une fois.

Si ça vous tente, vous pouvez l'entendre en cliquant là : oussanoussava - nena dé milion danné

Mais là n'est pas le propos. Cette chanson raconte que "ça fait des millions d'années que nous sommes ici, mais comment sommes nous arrivés, ça nous ne le savons pas".

Pourtant, ce que nous savons, c'est que l'île de la Réunion a surgi à la surface de l'Océan Indien grâce à l'éruption d'un volcan aujourd'hui en sommeil : le Piton des Neiges. Il est aujourd'hui le plus haut sommet de l'île et culmine à 3071 mètres d'altitude.

La formation de l'île au fil du temps est magnifiquement mise en image au musée du Volcan, à Bourg Murat. Une animation fort bien construite vous montre étape par étape comment les coulées de ce volcan autrefois explosif, ont façonné les reliefs, les ravines et les cirques de notre île.

On nous parle aussi d'un Volcan des Alizées, aujourd'hui disparu, et d'un certain Piton de la Fournaise, toujours actif. Ce dernier fait régulièrement parler de lui par ses débordements de lave plus ou moins réguliers. Ceci dit, pas d'inquiétude à avoir pour notre sécurité, sachant à quel point il est surveillé, contrôlé, mesuré, observé. Le moindre de ses toussotements est enregistré, répertorié, analysé. Le plus petit de ses tremblements met immédiatement en branle toute une batterie de procédures pour rapatrier les randonneurs, fermer l'accès de l'enclos, alerter la population.

Alerter la population, ça sert finalement plus à rameuter les curieux qu'à effrayer les résidents. Touristes et autochtones se pressent en effet à chaque éruption pour admirer les coulées depuis les remparts autorisés. On peut d'ailleurs assister, pendant les éruptions, à d'impressionnants embouteillages sur le parking du Pas-de-Bellecombe et tout le long de la route de la Plaine des Sables, du coucher au lever du soleil !

Fermer l'accès de l'enclos, ça signifie empêcher les curieux de descendre dans le cratère originel, au pied du sommet du Piton. Car oui, le sommet du Piton de la Fournaise émerge d'un creux gigantesque ! Au milieu de ce creux gigantesque pousse une autre montagne, au sommet de laquelle on trouve... encore un creux ! Paradoxal...

Mais quoiqu'il en soit, avant qu'une éruption mette réellement la population en danger, il faudrait que le volcan s'énerve considérablement. D'abord il faudrait que les coulées de lave soient suffisamment abondantes pour se créer un passage hors de ce cratère. Le Piton de la Fournaise est un volcan effusif, ce qui veut dire que les flots de lave remontent lentement des profondeurs, sans exploser. Ensuite il faudrait que les coulées arrivent à dévaler les pentes déjà brûlées jusqu'à la mer, enfin il faudrait qu'elles puissent se frayer un chemin en dehors de ce qui a déjà été enseveli et où personne n'habite depuis des siècles.

Car dans les bas, de Sainte Rose à Saint Philippe, vous ne rencontrerez pas la moindre case, comme on a pu le découvrir lors de notre tour de l'île.

Aujourd'hui, donc, l'enclos est ouvert et le monstre endormi, nous allons au Volcan.

Les randonneurs sont nombreux à arpenter ce paysage aride et hostile, armés de chaussures de marche renforcées, vêtus de vêtements techniques qui font la fortune des vendeurs dans les magasins spécialisés en équipements pour chèvres athlétiques survitaminées, tartinées de labello et d'écran total.

Dans le monde des mauvais marcheurs, ceux qui, comme moi, pensent que marcher n'est pas un plaisir en soi, on tient pour acquis que crapahuter péniblement pendant des heures, à se brûler les cuisses à coup de dénivelés ardus, n'est pas une performance qui peut s'apprécier en tant que telle. Dans le monde des marcheurs catégorie pingouin, on évalue la difficulté et le temps de souffrance, et on pose tout ça dans une équation où les facteurs "objectif à atteindre", "petits plaisirs collatéraux" et "récompense au sommet" déterminent le quotient de rentabilité.

De plus, monter au Volcan est une activité qui repose intégralement sur la météo. Nous allons grimper à plus de 2000 mètres d'altitude, ce qui signifie vent qui fouette, froid qui mord, soleil qui tape fort, brouillard qui aveugle, pluie qui ruisselle, nuages qui s'accrochent aux flancs de cette montagne, dressée comme une muraille face aux alizées du large. Il faut donc attendre les conditions favorables, s'équiper en conséquence et surtout croiser les doigts pour que, une fois gravie la route forestière, le ciel soit clément.

Deux options majeures s'offrent à vous si vous voulez marcher sur les pentes du volcan : s'y rendre en été ou s'y rendre en hiver.

L'option estivale multiplie les risques de pluie et de brouillard alors que l'option hivernale vous expose au froid et au vent.

Quoiqu'il arrive, l'équipement est primordial. Il vous faudra être bien chaussé (là-haut point de terre ni de doux tapis herbeux, vos pieds ne fouleront que du caillou nu et tranchant) et bien couvert (si le ciel est dégagé, vous cuirez, sans aucun abri à l'ombre ; dans le cas contraire vous grelotterez).

"A quoi bon ?", me rétorquerez-vous ! A quoi bon s'infliger une ascension cruelle, la morsure des éléments, le risque d'une foulure, et le tout dans un paysage aride, exempt de jolie végétation ? Détrompez-vous, même le pingouin, de moins en moins neurasthénique que je suis, a adoré l'endroit et l'expérience.

Je m'y suis donc rendue, accompagnée d'une marcheuse émérite qui adore galoper le long de pentes raides et hostiles, tel un bouquetin joyeux.

Nous avons choisi de dormir la veille à Bourg Murat, petite commune délicieusement montagnarde, perchée à 1600 mètres au dessus de l'Océan. Des pâturages où paissent vaches et moutons, des cheminées fumantes sur les toits, on se croirait au cœur du Limousin. Nous avons même dîné au coin du feu crépitant d'une magnifique cheminée en pierre de lave.

Levées à l'aube, nous ouvrons les volets sur un épais brouillard bien humide et bien froid (nous avons choisi l'option hiver mais on ne s'attendait pas à des températures nocturnes au dessous de zéro degrés !..). Pas la moindre parcelle de bleu dans ce ciel bas, et pourtant on discerne une luminosité optimiste au-dessus de la purée de poix... Alors, allons !

Armées de polaires, de blousons étanches, de gants, de bonnets et d'épaisses chaussettes, nous nous engageons sur la route forestière qui sinue entre les cryptomérias. Joie ! Plus nous grimpons et plus le ciel s'éclaircit

Et plus on monte, plus la végétation rétrécit et se raréfie. De moins en moins d'arbre, de terre, d'herbe ; et maintenant plus que quelques rares buissons épars s'agrippent à de la roche nue.

Au détour d'un de ces innombrables virages, se dévoile enfin le paysage saisissant de la Plaine des Sables.

Comme son nom l'indique, une large plaine tout plate s'offre à notre regard, une large plaine sans la moindre végétation, une large plaine d'un sol épais et rugueux, presque rouge, qui n'a de sable que l'aspect général.

Et au milieu est tracée une route, toute droite, qui coupe cette plaine toute plate en deux. C'est là que commence l'aventure et les difficultés, mais pour l'instant, c'est surtout la voiture qui s'inquiète. Et c'est là, donc, qu'on distingue, même de très loin, les voitures de location, pilotées avec désinvolture et brutalité, des voitures aux propriétaires prudents et légèrement inquiets pour la santé de leurs amortisseurs ! Même si elle est refaite très souvent, cette route, que dis-je cette PISTE, tient plus de la collection de nids de poule (énorme, la poule) que de la voie carrossable...

Nous ménageons notre petite twingo vieillissante en franchissant, au rythme raisonnable d'une tortue centenaire, les trous, les bosses et les ornières de la piste de la Plaine des Sables. On roule où c'est possible, à droite, à gauche, au milieu, et ceux qui arrivent en face font visiblement la même gymnastique, alors on se croise comme on peut. Heureusement qu'ici la circulation n'est pas aussi dense que sur la route du littoral à 7 heures du mat !

Une fois franchie la portion bien abîmée de cette piste, qui est dans cet état à cause des pluies ruisselantes qui déversent leurs flots depuis les sommets tout autour, nous recommençons à grimper de virage en virage, sur l'autre rive de la Plaine des Sables, jusqu'à atteindre le départ de notre randonnée du jour : le parking du Pas de Bellecombe.

Le voilà qui se dresse face à nous, du haut de ses 2601 mètres, le volcan, planté au milieu de son énorme cratère. Alors c'est là qu'on va ? Il va falloir descendre là dedans, traverser toute cette étendue vide et grimper tout là haut ? Le vent souffle fort, très fort. Le froid nous brûle déjà les joues. Le brouillard se promène en grappe à une vitesse folle. Le ciel bleu apparait et disparait au rythme des bourrasques.

Bon, maintenant qu'on est là, allons au moins jusqu'au point de vue !

Nous longeons le bord de la falaise qui surplombe le cratère par un petit sentier qui nous mène au véritable départ.

Là commencent les escaliers et l'étroit chemin qui descend tout en bas. Nous faisons face au Formica Léo, ce petit dôme surplombé de son cratère, témoin d'une éruption moins ancienne. Enfin... quand je dis "petit dôme"... je veux juste dire qu'il est petit par rapport à l'immensité de l'endroit, parce que, quand on voit la taille des gens qui marchent dessus, il est surtout très loin !

Là, au départ du chemin, nous rencontrons des petits groupes de randonneurs de la catégorie bouquetin, ceux qui arpentent les sentiers classés "difficile", "sportif", "expert", selon les guides. Ils sont sur-motivés, armés jusqu'aux dents avec bâtons de marche, chaussures montantes, leggings en lycra, blousons déperlants, bonnets en goretex, gants capitonnés, oui, j'exagère mais pas beaucoup...

Et puis, on voit aussi des troupeaux d'individus hors de propos, que je me plairais ici à appeler "plagistes" : short, savates, casquettes et lunettes de soleil. Certains se sont enveloppés les épaules dans un paréo, ils sont transis, étonnés, refroidis autant physiquement que moralement. On les entend s'étonner du froid, du vent, et se dire que "quand même, par rapport au climat d'en bas !", que "c'est fou comme il fait froid !" et que "on reviendra mieux équipés".

Et il y a nous. Je me dis que j'ai réussi à aller dans Mafate sans trop de douleur, c'était quand même plus pentu et plus long. Je me dis qu'on n'est pas montées jusqu'ici pour faire demi-tour. Je me dis qu'il est encore tôt et qu'on a un chouette pique-nique dans nos sacs à dos, on a même prévu des biscuits pour le dessert, pour une fois qu'on peut se promener avec du chocolat sans qu'il fonde ! Alors, c'est parti !

Le Cratère Dolomieu .

L'ascension, paradoxalement, commence par la descente au fond du cratère, ce que nous avons plus haut appelé "l'enclos" du Piton de la Fournaise. Un sentier zigzague à flanc de falaise, en pente plus ou moins raide, et parfois sous forme d'escaliers. Quasiment partout, on suit une main courante en acier. Plus on s'enfonce et moins le vent se fait sentir. Une fois tout en bas, on se retourne pour regarder d'où on arrive et.... on se dit que la remontée risque de piquer un peu !

Maintenant, droit devant, il ne nous reste plus qu'à suivre les points blancs peints sur les rochers dont le sol est entièrement constitué. Ça n'a pas l'air évident à première vue, mais ces points blancs peuvent être la seule chose visible qui vous empêcheront de vous perdre si le brouillard s'installe !

En chemin, on peut admirer sous nos pieds les formes incroyables sculptées dans la roche. La lave, qui au départ est de la roche en fusion, a refroidi brutalement pour donner ces étonnants reliefs dans la roche. A l’œil, on dirait presque de l'écorce de bois.

Le sentier nous conduit au pied du Formica Léo, puis nous emmène à son sommet. Le paysage est lunaire. Les gros rochers striés de lave cordée font place à un genre de sable à gros grains, de couleur ocre, uniformément nu de toute végétation. Vu d'ici, il n'est plus du tout petit, ce dôme, c'est un vraie colline.

En redescendant de l'autre côté, nous nous dirigeons vers le deuxième cratère de l'enclos, que les spécialistes ont baptisé "La Chapelle de Rosemont". Cette éruption là a dû être plus explosive, au vu de la forme des rochers. On dirait que le sol a éclaté sous la pression, tout ici n'est que pointe aiguisée.

Mais voilà que le brouillard arrive, le vent a forci. On se pose la question de savoir si ça vaut vraiment le coup de continuer à s'enfoncer dans ce nuage. Peut-être qu'il ne fait que passer, peut-être qu'il a décidé de s'installer pour de bon... Depuis la chapelle, il nous faudra encore un peu plus de deux heures pour atteindre le sommet.

Tant pis, c'est ici que s'arrêtera notre périple aujourd'hui. Dommage, c'était bien plus sympa que ce que j'imaginais et puis là-haut, il y aurait eu la vue sur l'Océan et la côte Est. Les coulées vues d'en haut, le cratère géant du Dolomieu, ce sera pour une autre fois...

Nous faisons donc demi-tour et nous consolons en pique-niquant dans un petit coin en creux, à l'abri du vent, presque au pied du défi final : la remontée.

Cette petite pause en compagnie des petits oiseaux pas farouches du tout et très friands de miettes de pain (on voit qu'ils sont habitués à picorer les reliefs des repas des randonneurs !).

Le panneau au pied du sentier qui remonte nous indique 20 minutes d'ascension. Je me dis alors que ces 20 minutes sont calculées pour les bouquetins entraînés et que je vais y laisser une cuisse et un poumon pendant au moins le double ! Par principe, je regarde quand même l'heure qu'il est et prend une dernière longue inspiration avant d'attaquer les premières marches pour partir à l'attaque de ce rempart vertical...

Finalement, c'était plutôt une bonne idée de choisir l'option "hiver", parce que, malgré l'effort, je n'ai pas quitté le blouson. Quelques petites pauses par ci, par là, histoire de reprendre mon souffle et de contempler le panorama et me voilà en haut. Tous comptes faits, il m'aura fallu 17 minutes ! Pas peu fière...

Sur le chemin du retour au parking, on contemple le paysage, celui qui était encore dans le brouillard à notre arrivée. On aperçoit les remparts de la Rivière de l'Est, et un peu plus loin, le Piton des Neiges nous salue, les pieds dans les nuages.

 Il ne nous reste plus qu'à reprendre la route pour retourner dans les bas, là où les températures sont plus douces, là où le vent souffle moins fort, là où les arbres poussent plus haut. Nous redescendons dans la brume et retrouvons l'agitation de la vie côtière, en repensant aux grands espaces que nous laissons derrière nous, tout là haut, au dessus des nuages.

Et je rêve de la prochaine fois, quand je grimperai vraiment sur le toit du Volcan, à défaut d'être capable de grimper sur le toit de l'île, tout en haut du Piton des Neiges...

Un jour ? Peut-être... j'ai appris à ne plus jamais dire jamais.

 

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