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Savates et Sac à dos

petites balades sur l'île de La Réunion, pour ceux qui ne se considèrent pas comme des randonneurs

Mafate, enfin !

Ne jamais dire "jamais".

J'avais pourtant dit un jour sur ces pages que jamais je ne rejoindrai le troupeau des chèvres athlétiques, celles-là même qui fréquentent les chemins raides et caillouteux, avec des barres de céréales dans leurs sacs à dos...

Et pourtant...

Et pourtant, à force de tester et re-tester d'autres chemins, plus ou moins raides, plus ou moins caillouteux, à la recherche de points de vue en hiver, de jolis bassins frais en été, à force de faire chauffer mes baskets et mes mollets, à force de me risquer à des objectifs classés "sportif" dans les guides pour chèvres, j'ai fini par faire pousser des cornes et des sabots sur le-pas-si-neurasthénique-que-ça pingouin que j'étais en arrivant sur l'île.

Ti-lamp, ti-lamp, un pas après l'autre, la savate s'adapte et le pied se fait plus sûr.

Renseignements pris, Mafate ne resterait pas toujours pour moi un paradis inaccessible. Finalement, 500 mètres de dénivelé, 2h aller, 2h et des poussières retour, sur deux jours, ça se tente, surtout en bonne compagnie, une petite bande de pingouins déguisés en chèvres.

Et c'est là qu'on se rend compte que nos amis les chèvres et autres bouquetins sont équipés avec justesse : les barres de céréales et compotes en tubes, c'est pour se requinquer à mi-parcours ; les bâtons de marche, ça aide vraiment la marche, c'est pas juste pour le style ; le sac à dos qui se clippe sur le torse et sur le ventre, ça stabilise et ça allège, ça évite que le sac ballotte ; et le sur-sac étanche, le K-way, le poncho, ça n'aurait pas été du luxe, finalement ! Quant à se déguiser en bouquetin des montagnes, il aurait fallu avoir la panoplie complète, ça nous aurait évité d'arriver au gîte avec l'intégralité du contenu du sac aussi trempé que tout ce qu'on avait déjà sur le dos...

 

Marcher sous la pluie, c'est moche, mais arriver à destination et ne pas pouvoir enfiler quelque chose de sec pour se réchauffer une fois en bas, c'est encore plus moche. Donc, ce que je retiendrai pour la prochaine fois, c'est que - primo - les bâtons de marche aident à la descente et à la remontée et - deuxio - on n'est jamais à l'abri de marcher sous la pluie et qu'il faut toujours emballer toutes ses affaires dans un grand sac plastique bien épais avant de tout caler dans le sac à dos (permettez-moi ici de préconiser le sac poubelle résistant grand format).

Voici donc le chemin le moins ardu pour descendre dans ce cirque tant de fois contourné, que l'on a déjà maintes fois admiré d'en haut sans même espérer fouler ses sentiers.

 

La Nouvelle par le Col Des Bœufs

Nous sommes déjà montés au Col des Bœufs pour admirer Mafate d'en haut, en nous garant sur le parking où le monsieur pas très souriant nous avait pris des sous pour surveiller la voiture à la journée. Cette fois, nous lui signalons que nous partons jusqu'à demain, avec le sentiment de faire partie d'une autre race de marcheurs...

Une fois en haut du col, ben, y a plus qu'à descendre... Un sentier semé de grandes marches en rondins, en racines, en galets, serpente à flanc de montagne. Merci les bâtons... Si on a de la chance, ou plutôt si on est arrivés assez tôt, le cirque nous offre son magnifique panorama à chaque virage.

Sur cet étroit sentier, même en pleine semaine (alors j'imagine ce que ça doit être le week-end !), on croise, on double ou on se fait doubler par plein de monde ! Plus ou moins rapides, plus ou moins frais, plus ou moins rouges et soufflants, tous ces gens vont et viennent dans Mafate, chacun à leur rythme. On se salue, on se sourit, on s'encourage mais surtout on partage ce sentiment unique de ne pas être là par hasard, de faire partie du clan de ceux-qui-vont-à-pied-là-où-les-voitures-n'existent-pas...

A chaque changement de décor, un panneau nous rassure en nous rappelant que nous sommes dans la bonne direction, et combien de temps il nous reste à marcher. On vérifie le temps qu'on a mis et on se dit qu'au final, on est dans la moyenne, sans forcer, et que certains de ces bouquetins équipés semblent bien plus pingouins que nous !

Après la descente des marches à flanc de montagne, on parvient à la Plaine des Tamarins, parsemée de clairières enchanteresses où trônent des milliers de ces grands arbres centenaires et tortueux, courbés par un cyclone il y a quelques années. Ils ont ployé mais n'ont pas cédé. Ils bordent un chemin fait de passerelles en rondin et dressent leurs silhouettes obliques mais majestueuses, couvertes de barbes de Saint Antoine. Le paysage est à la fois grandiose et apaisant. On se plairait alors à rester là, entre deux mondes, loin de tout et de tous, dans cette forêt tranquille et bienveillante.

Une fois la Plaine des Tamarins traversée, il faut continuer à descendre, la pente redevient plus raide, quelques ravines ruissellent et les points de vue réapparaissent, nous ouvrant les yeux sur notre destination. Au loin, bien plus bas, des petites maisons disséminées dans une prairie verte. Derrière nous, loin au dessus, on aperçoit notre point de départ, tout là-haut dans la montagne abrupte.

Ne pas faiblir, continuer de planter les bâtons entre les rochers et descendre encore et encore le long du sentier sinueux jusqu'à l'entrée de l'ilet*.

On y est ! On arrive à La Nouvelle, le plus grand ilet de Mafate, le plus peuplé, le plus accessible ; mais quand même, Mafate et les Mafatais sont là, et nous avec. Un vrai village, avec de vraies maisons, une école, une église, des gîtes et des restaurants, des épiceries, et tout ça dans une prairie, une immense prairie verte et dense.

Ici pas de route, pas de véhicule, pas de trottoir. C'est ce qui frappe le plus, toutes ces maisons posées dans l'herbe et des gens qui vont et viennent de l'une à l'autre, en suivant le chemin le plus court, pas celui qu'une urbanisation artificielle aurait décidé pour eux.

Et sur tous les visages, un sourire, les gens nous saluent. Il suffit qu'on s'arrête à la terrasse d'un bistrot pour discuter avec tous ceux qui s'y trouvent, randonneurs ou Mafatais. On m'avait dit qu'à Mafate, les gens étaient accueillant et chaleureux, mais ils le sont tellement plus que ce qu'on imagine...

Ici, non seulement tout le monde connaît tout le monde, mais en plus tout le monde est, de près ou de loin, de la même famille que tout le monde ! Les enfants galopent pieds nus à l'autre bout du village, les parents vaquent à d'autres occupations, tout le monde s'entraide.

A Mafate, la soirée est douce et amicale, on mange, on boit, on discute, on rigole...

Pas de lumière qui déchire la nuit, pas de bruit parasite, ici même les chiens respectent le silence de la nature !

Au matin, le coq le plus proche annonce le lever du jour. Et à l'heure où les enfants se dirigent vers l'école, les hélicoptères entament le ballet des livraisons. Pour les gens d'ici, l'hélico fait partie du décor. Sauf qu'ici, l'hélico qui sert de camion de livraison fait aussi office de camion-poubelle, pas de trajet à vide !

Et puis vient le moment de dire au-revoir à tous ces gens qu'on a rencontré hier mais qu'on a déjà l'impression de connaître comme des amis. Voici le moment où on entame la remontée, teintée d'un petite appréhension quant à notre capacité à arriver tout en haut sans trop souffrir, sans trop s'essouffler. Là encore, merci les bâtons !

Un pas après l'autre, on refait le sentier dans l'autre sens, en se retournant de temps en temps pour profiter de ce paysage dont on connait mieux les détails. Petit à petit, en s'aménageant quelques pauses pour reprendre son souffle, on parvient à nouveau à la Plaine des Tamarins qui marque la moitié du parcours. là encore, on croise, on double, on se fait doubler par des promeneurs enjoués, parfois suants, qu'on salue et qui nous saluent, qu'on reconnait pour les avoir croisés la veille, sur le sentier ou dans l'ilet.

Un pas après l'autre, on gravit la montagne, et les petits panneaux qui nous indiquent le temps de marche deviennent plus optimistes. Mon souffle se fait court, mon cœur cogne dans ma poitrine, ma sueur me pique les yeux, mes cuisses me brûlent, mais je suis tellement contente d'être là, tellement fière d'y être parvenue.

Après un peu plus de deux heures, le Col des Bœufs est à portée de pieds, encore un effort, plus que quelques dizaines de marches...

Voilà. Je l'ai fait. Je suis allée à Mafate, et j'en suis revenue. Et ça n'était pas si difficile.

Je n'ai pas raconté la pluie, les vêtements mouillés et froids qui collent à la peau, les pieds tous fripés dans les chaussures trempées, les flaques dans lesquelles on s'enfonce jusqu'aux chevilles. Je n'ai pas raconté la pluie parce que j'ai passé deux jours et une nuit formidables.

J'y retournerai, mieux équipée, plus longtemps, certainement plus loin, en sachant que le chemin fait partie de l'expérience, et que l'expérience vaut mille fois la peine d'être vécue.

A bientôt, Mafate.

A bientôt, les Mafatais.

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* un ilet (prononcer "ilette") est un village isolé, un hameau, un petit regroupement de cases, souvent situé dans un endroit difficile d'accès.

 

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