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Savates et Sac à dos

petites balades sur l'île de La Réunion, pour ceux qui ne se considèrent pas comme des randonneurs

Là où naissent les nuages

Le plus beau point de vue sur le Cirque de Salazie est sans conteste le Gîte de Bélouve. Je m'y étais déjà rendue en voiture, en traversant toute l'île et toute la forêt primaire de Bébour-Bélouve. Même si elle est jolie, que la route est longue ! Il faut partir bien avant l'aube si on veut profiter pleinement du panorama. Monter la route des Plaines, traverser la forêt par la route forestière qui n'en finit pas d'avaler les virages, faire la course contre le brouillard et les nuages... et arriver souvent trop tard pour apprécier le spectacle.

Mes amies les chèvres athlétiques, habituées aux sentiers vertigineux, m'ont parlé, des étoiles dans les yeux, de l'ascension au gîte à pieds depuis Hell-Bourg. Mais Hell-Bourg, quand on est au gîte, c'est la ville qu'on aperçoit tout au fond du gouffre qu'on surplombe depuis un rempart vertical ! Les cases semblent minuscules tellement elles sont loin...

Mes amis les bouquetins joyeux, dont les mollets ne craignent aucun dénivelé, parlent d'une promenade de santé, une mise en jambe, et enchaînent l'aller-retour dans la matinée, pour se mettre en appétit avant le gratin chouchou de midi au resto à Hell-Bourg.

Moi qui fais partie de cette catégorie de piètres marcheurs qu'on connait maintenant mieux sous le nom de pingouins neurasthéniques, me suis alors résignée à les traiter de fous et à regarder la crête au dessus de la ville en me dévissant le cou. La vue est belle aussi, depuis l'ancien guétali* à l'entrée de la cité...

Mais un jour, une amie pingouin m'a proposé cette randonnée comme on envisage une petite promenade, pour initier son mini-elle aux joies de la marche en montagne. Ce poussin-pingouin est loin d'être neurasthénique, mais du haut de ses 5 ans, ses mollets sont un peu courts pour rivaliser avec les chèvres qui arpentent les sentiers balisés ! Mais Madame Maman me dit qu'on ira tranquillement, à grand renfort de "on arrivera quand on arrivera".

Si mini-pingouin peut, je peux ! Et c'est ainsi que nous arrivons à Hell-Bourg, si joli village perché à un peu plus de 900 mètres d'altitude, au bout du bout de la route qui traverse le cirque de Salazie, à une heure suffisamment matinale pour que le ciel soit bien bleu et le Piton des Neiges encore rouge des reflets du jour tout neuf.
 

Comme toujours en arrivant sur place, je m'émerveille du panorama. D'un côté la vue plongeante sur l'entrée du Cirque, les plantations de chouchous et la végétation foisonnante, de l'autre la majestueuse chaîne de montagnes qui nous domine du haut de ses 3000 mètres de beauté brute. 

Et cette fois-ci, en me dévissant la tête une fois de plus vers cette crête où se niche le belvédère du Gîte de Bélouve, j'ai l'impression que le rempart est plus vertical, plus haut, plus hostile que d'habitude...

Devant l'enthousiasme et l'énergie de Petit-Chamois, je ravale mes doutes et chausse mes baskets. Et nous voilà au départ du sentier, où un panneau nous annonce 570 mètres de grimpette en un peu moins de 2 heures pour un niveau "moyen".

 

Gîte de Bélouve depuis Hell-Bourg

Le sentier s'enfonce tout d'abord dans une forêt de cryptomérias, si courants à cette altitude. On commence à monter en pente douce, quelques marches en rondin de bois guident notre ascension. Et très vite arrivent les escaliers, raides, faits de grandes marches irrégulières.

Très vite, on prend de la hauteur et le panorama se dévoile. Tout est magnifique autour de nous, la végétation et ses orchidées nichées en hauteur à même le tronc des grands pieds de bois, la vue sur Hell-Bourg qui devient de plus en plus petite dans la vallée, les pics montagneux qui découpent le ciel d'un bleu éclatant de part et d'autre du majestueux Piton

des Neiges, les cascades qui dégringolent sur les flancs des remparts du Cirque de Salazie.

Parfois très pentu, parfois presque plat, le sentier laisse dérouler nos pas dans l'ombre fraîche des fanjans des hauts, ces fougères arborescentes géantes, si anciennes qu'elles auraient pu connaître les dinosaures si l'île en avait logé. Ici poussent des espèces de toutes essences, fleurs, fruits, endémiques ou implantés au fil des siècles. Et, de loin en loin, les trouées vers le vide nous laissent admirer le relief accidenté du

Cirque. En face de nous, le Piton d'Enchaing, qui abritait autrefois cet ancien esclave évadé qui lui a donné son nom, plus loin le Col de Fourche, le Col des Boeufs, derrière lesquels s'étend le Cirque de Mafate. Plus loin, la Roche écrite, ces pitons et massifs qu'on apprend à reconnaître au fil de nos balades. Et toujours le grandiose Piton des Neiges, qui montre sous cet angle son plus joli profil, et aussi le plus impressionnant.

Les nuages commencent à s'accrocher aux sommets, parsemant le ciel de grappes cotonneuses, et nous continuons à grimper, sur ce sentier joliment ombragé qui s'avère bien moins ardu que prévu. Parfois, les

goyaviers qui bordent le chemin s'effacent pour nous laisser apercevoir la verticalité de l'endroit. Dommage, ça n'est pas la bonne saison pour la cueillette des goyaviers, même si on en aperçoit quelques uns, sur les plus hautes branches. Par contre, un pied de  bibasse nous tend ses fruits mûrs. Sa peau jaune et duveteuse invite à la dégustation, délicieuse découverte, ça ressemble à une nèfle (d'ailleurs c'est une nèfle, puisque ça pousse sur ce qu'on appelle en métropole néflier du japon) et ça a presque le goût d'un abricot. La nature est généreuse envers les randonneurs affamés !

Nous voilà presque au sommet quand on arrive aux vestiges de l'ancienne tyrolienne, qui servait autrefois à descendre le bois exploité dans la forêt de Bélouve vers la scierie de Mare-à-Poule-d'Eau, en contrebas. Aujourd'hui l'exploitation est arrêtée, et les agents ont reboisé massivement. Un promeneur me raconte qu'il a vécu toute sa vie à Hell-Bourg et qu'il a coupé du bois dans cette forêt de 1971 à 1989, il me parle de sa forêt avec enthousiasme et me décrit les plantes qu'il connaît depuis toujours, me montre le faham, cette orchidée qui ne vit que dans les hauts et qui est

aujourd'hui protégée. Il m'explique aussi la différence entre ces deux espèces de fraises des bois, qui se ressemblent comme des jumelles mais dont l'une est plate (ce qui signifie fade, en créole) et pleine d'eau alors que l'autre est délicieusement sucrée (dans la langue Créole, on dit dou). Les balades à La Réunion, c'est aussi ces rencontres, ces histoires, ces sourires, avec sincérité et simplicité.

Tout en papotant avec cette encyclopédie vivante de la forêt primaire, nous voilà rendus au point d'arrivée, une grande clairière bien verte où se déploient quantité d'arums épanouis.

Au bord de la falaise, une barrière en bois, une table d'orientation et le magnifique panorama. Le Cirque de Salazie s'étend sous nos pieds et tous ses remparts s'offrent à notre regard. Tout autour du gîte, petite maison de bois, des tables de pique-nique et des barbecues en pierre invitent à la pause, au calme et à la contemplation.

Les marcheurs émérites, chèvres et autres bouquetins, ne feront qu'une courte halte, pour continuer leur galopade vers le Trou de Fer ou le sommet du Piton des Neiges, comme l'indiquent les balisages spécialement installés à leur intention. Nous, valeureux pingouins arrivés à destination, sortons de nos sacs quelques en-cas et profitons du paysage en grignotant nos biscuits bien mérités.

Finalement, c'était bien la peine de risquer un torticoli en regardant cette crête que je croyais inaccessible ! Elle était chouette, cette balade, elle ne nous a même pas amputé d'un mollet. Et maintenant que les nuages ont grignoté les sommets, il suffit de redescendre dans la vallée, pour, nous aussi, aller se régaler d'un bon gratin chouchou...

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* Guétali : vient de l'expression "guette a li", qui signifie "regarde-le" ou "surveille-le". Un guétali est un petit kiosque privé, au coin de la maison, qui donne sur la rue à travers une cloison ajourée. Il permettait autrefois aux jeunes filles de bonne famille d'observer les passants sans être vue, comme l'exigeait la bienséance.

 

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